Compte à rebours interrompu

Publié le par Alsciaukat

Savonnière
Léopold

l__opold.jpg« Ca va aller, tu vas voir. »
Et elle me sourit. Je lui rends son sourire, mais en un peu plus crispé, je crois. Ma dernière confrontation avec ses amis n’avait pas vraiment été digne d'entrer dans le palmarès des instants de ma vie. Ou bien dans celui des pires. Mais ça va aller. Je vais m'ouvrir. Essayer. Je le peux, je le sais. Et au pire, je mentirai. Je sais le faire. Léa me jette un regard oblique, comme si elle avait pu capter mes pensées et les appréciait peu. Pardon Léa, mais je vais cela pour toi. Elle me prend le bras et nous continuons d'avancer vers la porte de la cave.
Une musique pulse derrière la porte tandis que je pose la main sur la poignée, et je sens les vibrations remonter le long de mon bras. Je tire le battant à moi et laisse Léa entrer la première. Nous sommes accueillis par les cris de ses amis qui viennent en souriant lui faire la bise et me serrer la main. Je me rappelle de certains d'entre eux. Lui, c'est Pierre. Ici c'est Jérémy. Juliette, la troisième de leur petit carré d'amis, n'est pas encore là. Et puis il y en a d'autres, que je ne connais pas, une bonne dizaine déjà. Pourquoi être tant ? Relent d'instinct tribal ?
Je salue à tour de bras, serre les mains, grave les prénoms dans ma mémoire, tandis qu'eux me connaissent déjà pour avoir entendu parler de moi. Léa ne me parle pas de ses amis. Je n'en ai pas envie, et pourtant ç'aurait peut-être été une bonne chose. J'eus sans doute été moins démuni face à eux.
On nous sert à boire. Léa prend son verre et on me met le mien de force dans les mains. Je renifle. On m'assure d'une bourrade que c'est bon pour moi. Les gens parlent beaucoup, et vite. J'enregistre tout sans y faire vraiment attention. Je bois, et fais la grimace sous l'effet de l'alcool contre mes papilles. Je n'ai jamais été adepte de la chose.
Je m'avance un peu, délaissant le groupe quelques mètres derrière. La cave s'allonge sur une quinzaine de mètres, occupée sur presque toute sa longueur par une table couverte de nappes en papier. Au fond se trouve la sono et quelques lumières, ainsi qu'un faible espace pour danser, j'imagine.
Une fille m'aborde.
« Pas mal, hein ?
- Euh... oui, pas mal...
- Tu veux pas venir choisir autre chose, comme musique, avec moi ? C'est nul, là...
- Ben...
- Allez hop ! »
Elle me prend le bras et m'entraîne vers le fond de la salle. Je n'oppose pas de résistance, si bien que nous arrivons rapidement au niveau de la chaîne, à côté de laquelle trône une pile de CDs divers.
« Au fait moi c'est Julie, et toi ?
- Léopold...
- Ah c'est toi le fameux Léopold ! »
Je vois une curieuse étincelle luire dans ses yeux, et je ne sais s'il s'agit de convoitise ou de peur. Je n'aime pas cette fille.
Elle me brandit un CD sous le nez.
« Ca, ça te dit ? »
Je n'ai même pas le temps de lire le titre ; Léa est apparue à côté de moi et a saisi le boîtier.
« Non, c'est de la merde. »
Je la regarde avec étonnement. Je ne l'ai jamais entendu parler comme ça. Et cette expression, sur son visage... Serait-ce de la jalousie ? Ma douce Léa, si gentille, jalouse ? Et de cette fille ?!
« Tiens, met ça. »
Elle dépose un CD dans les mains de Julie, qui a reculé d'un pas, et m'entraîne plus loin. J'ai l'impression qu'elle va m'engueuler, mais elle se tourne vers moi et me sourit aussi naturellement que d'habitude, comme si rien ne s'était passé. J'hésite à lui demander qui est cette fille, Julie, car j'ai l'impression qu'il y a quelque chose d'étrange entre elles. Mais je n'en fais rien.
La soirée passe ainsi. J'arrive à me contenir. Je parle avec les amis de Léa, je les fais même parfois rire, bien que pour ma part je ne dépasse pas le sourire. Quand je sens la patience me quitter, ou la tête me tourner, j'arrête de parler, regarde Léa. Les gens qui parlaient avec moi s'arrêtent, surpris, mais reprennent entre eux leur conversation, comme s'ils comprenaient. Peut-être Léa leur a-t-elle parlé. Sans doute.
Nous mangeons, du poulet froid, des chips, du jambon, du pain. Rien de bien élaboré, et j'en viens presque à regretter le dîner que Christelle et Jérôme ont du se concocter. Mais peu à peu, je prends plaisir au fait de parvenir à rester sans broncher entouré des amis de Léa. Je n'irais pas jusqu'à dire que je passe une bonne soirée, mais elle est toujours plus ou moins près de moi, même lorsqu'on ne parle pas ensemble, et ça me va.
L'heure tourne avec lenteur. Certains dansent au rythme de la musique sous les lumières stroboscopiques qui ont envahi ce coin de la salle. Léa m'invite même à danser, sous l'impulsion de ses amis, mais je refuse, et je l'en vois plus soulagée que déçue.  Et puis le compte à rebours arrive. Dix. Neuf.
Je sens une présence à ma droite. C'est Julie. Huit. Sept.
Elle me regarde en souriant. Six. Cinq.
Un poing jaillit par-dessus mon épaule, s'écrase sur le nez de Julie. Tout le monde arrête de compter tandis qu'elle s'étale par terre, du sang coulant de son visage.
Elle se relève.

Publié dans Léopold

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M
La baston, la baston! Génial :DEt on retrouve un peu du Léo habituel, misanthrope et tout: faudrait pas qu'il devienne trop gentil non plus?
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A
Allons allons, jamais trop gentil :P Et si on voit moins sa misanthropie, c'est juste qu'il est plutôt casanier ;)
A
oO
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A
^^'