Le remède

Publié le par Alsciaukat

Tours
Léopold

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D’un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d’un portique fabuleux
Dans l’or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

Pourquoi des maths ? Pour l’argent. Parce qu’ainsi j’ai l’esprit empli. Ou bien… pas tant que ça, finalement. Ce poème ne sort plus de mon crâne. La poésie n’est-elle pas bien plus envahissante que n’importe quelle science, aussi complexe et prenante soit-elle ?...

Rien qui m’emporte l’esprit,
Qui me détache l’âme dans un tourbillon
Dont la marque du sillon
Ne peut être mise à prix,
Tel le bonheur ardent que nous éparpillons.

Une vie à écrire. Qu’est-ce qui vaut vraiment le coup ? L’esprit ou le corps ? Quel confort est le plus important ? Puis-je être heureux en ayant du mal à boucler mes fins de mois ?...

L’opium agrandit ce qui n’a pas de borne,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes,
Emplit l’âme au-delà de sa capacité.

Je ne suis plus la correction de l’exercice. Je n’entends plus parler le professeur. Je sens intensément la présence de Marie à côté, sans réussir à comprendre ce qu’elle peut être en train de faire. J’écris.

Rien qui m’arrache le corps,
M’étourdisse les sens en une lueur vive
Dont la trace qui dérive
En un écarlate accord
Me fasse regretter qu’à jamais je ne vive.

Ce poème qui défile derrière mes yeux et m’empêche d’écrire en toute conscience quelque chose qui n’y ressemble pas en quelque point. Je veux l’originalité, je ne parviens pas à l’atteindre, car j’ai le sentiment que ce modèle est impossible à dépasser. Ou alors… avec du travail… un travail que je ne puis réellement me permettre…

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voir à l’envers,
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Les yeux… Je comprends tout ce qu’il a voulu dire, chacun de ses mots me pénètre, et me laisse finalement inchangé, tant j’en suis déjà imprégné. Je connaissais l’œuvre avant même de la lire. Écrite en moi.

Et pourtant, toi, tes cheveux,
Clairière de repos dont les herbes recèlent
Une mélodie, de celles
Qui n’ont pas besoin d’aveux,
Éveille quelque part en moi cette étincelle.

Les mots coulent, tout s’enchaîne et se lie. La structure est naturelle. Les rimes sont naturelles. La ponctuation est naturelle. Il n’y a plus rien autour, à part une forme chaude à gauche, qui irradie chacun des mouvements de mon poignet.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord
Et, charriant le vertige,
La roule, défaillante, aux rives de la mort.

La mort, qui n’en est bien sûr pas une. C’est l’inverse. L’apogée. La renaissance dans l’acidité liquide. La perfection incarnée en quelques mots.

Et pourtant, toi, en mes veines,
Conduits de mon pétrole dont l’inertie luit,
Flots tourmentés, et qui fuient
En eaux de joies ou de peines,
Tu me fais te vouloir autant que je le puis.

Je soupire, longuement. Marie se penche sur ma feuille pour lire, tandis qu’au tableau le professeur poursuit la correction. Un peu plus loin, deux élèves rient doucement pour ne pas être réprimandés. Je cligne des yeux. Les abaisse sur le poème. Une copie. La même chose. En moins bien. Marie me sourit, et me dit que c’est joli. Je la regarde en coin, sans pouvoir cacher une sorte de peine bien involontaire. Pour contrer l’interrogation qu’elle va me lancer, je lâche un petit rire, remercie, et regarde l’exercice.

Publié dans Léopold

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M
Déneb, ton message est très conciliant mais tu ne peux t'empêcher de marquer un profond scepticisme, peut-être un stage en prépa scientifique pourrait t'être profitable, je te proposerai bien un stage chez nous mais, j'ai peur qu'en apparence tu es raison, mais si tu apprends à connaître les maths sup/spé, tu verra qu'ils ne sont pas différents du reste du monde : un peu brut en apparence mais souvent avec un grand coeur.
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A
Ah eh ben j'avais pas vu ce message avant de mettre mes précédentes réponses, mais je vois qu'on est d'accords ^^
D
Alsciau >> Bah toi tu es l'exception qui confirme la règle voilà tout :-D Non mais je grossis le trait, je suis sûre qu'il y a des garçons scientifiques sensibles et bien sous tous rapports dans ma prépa...en cherchant bien.
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A
Le tout c'est de voir avec quelle profondeur on examine les gens :P Je dis ça pour moi aussi, c'est souvent facile de se faire trop vite un avis sur ceux qu'on est pas obligés de fréquenter :) (Hélas... on rate sûrement des gens biens, en faisant ça...)
B
un hymne magnifique à la poésie...... comment pourais-je ne pas aimer ??
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A
Tu m'en vois ravi ^^ Merci :)
A
Aaaah ! Un nouveau commentateur :) Bienvenue Martin !
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M
Heureusement que tu es là, tu prouves à ceux qui pensent que nous ne sommes que des barbares, que même en prépa scientifique, il y a des gens sensibles et dont l'écriture est très agréable, j'aime beaucoup ton style fluide et ton personnage est très touchant, malgré son apparence (morale) un peu fruste. Bravo, et j'attends la suite avec impatience !
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A
Eh bien merci Martin ;) Et c'est vrai que même si on a pas spécialement l'impression, en regardant comme ça, que la MPSI2 est très sensible, il suffit de s'y investir un peu pour le voir :)Et bel euphémisme, avec le personnage un peu "frustre" :P