Quand la colère enfouie au fond des coeurs atteint les proportions d'un orage
Julian
Dehors, oblique, la pluie tombe, à grosses gouttes. Une journée lourde de chaleur ; une humidité bienvenue. Le bar est presque vide aujourd’hui, je reste debout derrière le comptoir, le menton posé sur ma main. Même le vieux Jack n’est pas venu. Louis et moi écoutons l’eau s’abattre sur les vitres. Il nettoie une table, je le regarde faire. Puis il se redresse et soupire, pose une main sur son dos, se tourne dans ma direction, jauge mon regard sous ses sourcils froncés. Bleu marine sans récif. Je me baigne dans ces deux lagons, les mêmes que ceux de Michelle.
« Tu devrais rentrer, me dit-il. »
Je ne réponds pas. Je reste là, sans bouger. Pluie qui tombe en fond sonore.
« Rentre chez toi Julian, il n’y aura plus personne aujourd’hui. Les gens ne sortent pas par ce temps. »
Lentement, sans répondre, j’enfile ma veste, me dirige vers la porte du Dionysos.
« Bonne soirée, me dit Louis un peu froidement avant que je ne passe le seuil. »
Silence qui éclate dans ma bouche. Je m’arrête un temps, pousse la porte du bar.
Rue Amiral Roussin. La pluie s’écrase sur le pavage blanc. Au dessus, les nuages noirs se brassent dans le ciel.
Mise en marche.
Rue Musette. Rue de la Liberté. Place Darcy. Rue Chaussier.
Appartement.
Regard noir de la concierge. J’accélère le pas dans les escaliers. La porte est ouverte. Lilian regarde la télé dans le salon. Cheveux châtains mi longs devant les yeux. Je me dirige vers ma chambre, referme derrière moi, m’écroule sur mon lit. Dehors, c’est l’orage. La pluie explose contre les vitre, le tonnerre gronde. Des flashs de lumières éblouissent le ciel par intermittence, déchirures blanches qui violacent le ciel de mauve fluo. Mes aïeux sont en colère, on les entend courir avec fureur sur le dallage nuageux, taper des pieds et crier. L’air tremble. Je ferme les yeux. Un bruit du déluge, c’est aussi effrayant qu’apaisant, et je me laisse porter par sa berceuse orchestrale.
J’aime ce temps, j’aime sentir les éléments se déchaîner. Sans doute parce que c’est moi qui suis en colère, sans doute est-ce moi qui génère cette tempête. Je suis un dieu, et j’enrage contre vous, mortels. J’enrage contre Piotr et sa Horde de hyènes, contre la haine de ces gens, cette violence, contre le rejet et la peur. J’enrage contre ce pays qui m’a trahit, contre son peuple hargneux et revêche qui s’enfonce dans la terre noire d’une sombre destinée. Ce n’est plus la sphère ROUGE colère de Jed qui pulse dans mon sang.
Voici MA colère. L’orage, la grandeur intérieure de ma puissance de dieu. Je souhaiterais balayer votre monde périssable d’un revers de ma main de vent, je souhaiterais abattre les fondements de vos murs de vanité part la foudre et le tonnerre, et que s’écroulent vos valeurs dans une explosion de lumière. Je voudrais être le tout puissant, et je me sens tout puissant, lorsque j’entends le vacarme de l’ouragan. C’est l’artifice de ma fureur, le sortilège de ma volonté destructrice. Puisse l’orage faire ployer vos corps mortels et soumettre votre faiblesse sous le joug de mon juste courroux.
Et mon corps allongé sur l’édredon s’enfonce dans le tumulte sourd des profondeurs. L’esprit s’enlise dans un sommeil aqueux, un liquide épais où plus rien ne se meut.