La question qui émerge des profondeurs

Publié le par Altaïr

Rome
Julian

julian1.jpgNous avons repris le chemin de Rome. L'atmosphère dans laquelle nous évoluons, peu à peu, s'effondre. Je regarde Laetitia et je ne la désire plus, je veux seulement jouir de son corps comme je jouirais de n'importe quel autre, ou plus exactement je veux savourer MON corps à travers le sien. Ne m'en veux pas Laetitia, je sais que tu ressens la même chose. Nous sommes devenus des outils sexuels l'un pour l'autre. Vivre avec quelqu'un en permanence est insupportable, si bien que j'en viens à douter de ma capacité à entretenir une relation. Ce n'est pas Laetitia, elle, elle ne compte pas ; c'est la multitude des probabilités d'autrui. Je ne veux pas des autres, je n'en veux plus. Regardez Lola. Nous n'avons pas seulement rompu à cause de la chose qui grandit dans son Ventre Nourricier, la chose qui naîtra bientôt, et qui m'appelera « Père » alors que je n'ai que vingt ans, la chose qui fait vibrer en mon cerveau le tambour infernal de son coeur effréné, non, notre rupture est le fruit de mon incapacité à accepter l'imperfection des liens tissés entre les Êtres, la confiance qui n'existe pas réellement, les « je te comprends » et les « je t'aime » qu'on vomit à outrance, tout ce dégobillage de vanité habillé de beaux sentiments. Et je hais ce Julian qui est moi et instille en Nous les eaux souillées de son désespoir. A cause de lui, je ne peux pas baiser Laetitia sans remord, car il contamine chaque instant de notre existence. Pourquoi avoir réuni le Julian-Feu et le Julian-Eau en un seul et même Corps, en un seul et même Coeur ? N'avons nous qu'une Âme, ou bien deux distinctes, destinées à s'affronter jusqu'à la fin des Temps ? Ce ne sera pas mon Moi plus que le sien, ni le sien plus que le mien. Nous sommes deux et un seul à la fois, et plus le temps passe, plus je découvre l'horreur de notre situation, corrompue par ses pensées plus que par les miennes, et plus je comprends que nous ne serons jamais heureux, que cette tension, cette guerre, ne cessera qu'à notre dernier soupir. Seul, j'aurais été heureux, je n'avais pas besoin de lui.
Mensonge ! Tu m'as créé pour ça, pour conserver dans une partie de ton être toute l'horreur de ce monde, parce que c'est le prix à payer de notre lucidité, et que ce dû était trop lourd à porter pour tes épaules frêles et si joliment décadentes...
Tu as gagné en impudence, Julian, il semblerait que j'ai réussi à te corrompre.
Mais tu as changé toi aussi, pas vrai ? Peut-être ta position n'était pas des plus faciles à supporter, finalement...
Fourbe ! Tu cherches à reprendre le contrôle en me déstabilisant !
Si je parviens à te déstabiliser, c'est que je n'avais pas si tort que ça.

Je regarde Rome par la fenêtre de notre luxueuse chambre d'hôtel. Bientôt nous quitterons cette ville à laquelle je me suis tant attaché, à ses rues ocres et chaudes, nous remonterons vers Florence, Milan et Venise. Je ressens Laetitia allongée sur le lit derrière moi, et je prie pour que l'Autre en moi ne pose pas cette question cruciale, la question qui remonte des profondeurs et me plonge dans la terreur d'une angoisse nouvelle.

Qui des deux Julian était là le premier ?

Publié dans Julian

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A
Ahah, je ne veux réféchir. Je dis juste bravo pour ce texte!
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A
Yep, mais non, car dans d'autres frags, l'autre prétendait avoir créé l'autre... Bref, méli mélo :D Et la question reprend tout son sens...
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A
Eh bien d'après le dialogue, c'est celui qui a la voix dominante, qui était là le premier, puisqu'il a été "créé" en réaction au monde... après, quel sera le dernier...
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