A l'arrêt de bus

Publié le par Altaïr

Dijon
Julian

julian1.jpgArraché à mes songes doux et cotonneux par un hurlement insupportable, je me réveille subitement. Le goût suave de ce rêve délicieux commence déjà à s’estomper, et les bribes d’images sculptées par mon esprit tout au long de la nuit se dissolvent comme le pollen d’une fleur dispersé par les vents. N’en reste déjà plus qu’un soupir lointain, que je ne tarderai pas à oublier définitivement. J’abats mon poing sur le réveil pour restaurer le silence dans ma chambre, et m’empare du petit carnet à songes posé sur la table de chevet, ainsi que d’un crayon de papier sévèrement mâchouillé par mes soins. Chaque matin, j’ouvre une nouvelle page de mon carnet à songes pour y griffonner les miettes du gâteau onirique que j’engloutis chaque nuit. Fermer les yeux, tenter de rattraper un rêve qui fuit entre les doigts comme de l’eau, est un exercice difficile.
D’un regard circulaire, je balaye les murs de ma chambre, à la recherche d’un appui pour étayer ma mémoire lacunaire. L’écume fraîche de l’aurore a effacé les figures cauchemardesques et rendu aux objets leur visage véritable. Le brouhaha des choses est indiscernable dans cette petite pièce exiguë qui me sert tant d’appartement que de chambre, et qu’il me plait de surnommer mon temple du sommeil. C'est une pièce pentagonale et biscornue, au plancher de bois grinçant et au plafond penché (car on se trouve sous les toits, dans ce que d’aucuns appelleraient une chambre de bonne). Les stores vénitiens laissent glisser quelques rais de lumières qui révèlent le ballet des particules de poussière. C'est une lumière jaune, matinale, dont l’alliage avec les boiseries teint la pièce de sépia, comme une vieille photo égarée. Il y règne l’atmosphère d’un bazar où tout s’enchevêtre, s’empile, s’entasse à n’en plus finir. Non pas que je sois peu apte au rangement, non, mais oui, peut-être devrais-je l’avouer, victime d’une paresse indolente qui m’empêche d’y remettre de l’ordre. Soudain, un flash heurte mon esprit, et avant même que je puisse en prendre conscience, je me mets à écrire à la hâte sur le carnet à songe. Cette nuit, je me suis retrouvé face à un dieu égyptien dont le nom demeure encore flou. Un dieu à tête de chien, ou non, de chacal. Anubis. Le dieu égyptien à tête de chacal, l’embaumeur. Et Anubis a tenté, à l’aide d’un long crochet, d’extraire mon cerveau par l’une des mes narines, selon un ancien rituel dont j'ai entendu parlé étant enfant, et qui m’a toujours impressionné.
Puis, comme souvent, le temps semble prendre de la vitesse, crescendo incontrôlable. Il y a le café, trop fort comme chaque matin, puis une douche glacée – toujours pas d’eau chaude dans l’immeuble, il faudra en parler à la concierge – puis l’arrêt de bus. Là, le temps semble ralentir. Alors que j’attends le bus, dans la pâleur de février, à ce même arrêt où j’ai l’habitude de me rendre chaque matin, je suis victime d’une sensation étrange, la pesante lucidité d’être là, et de n’être pas ailleurs. C’est là que mon corps se trouve, à cet endroit précis de la planète, de la galaxie, de l’univers, ce petit point ridicule. Mon corps se trouve ici et, par conséquent, mon esprit aussi. Et pourtant, il me semble que, mentalement, telle une méduse translucide, je me déploie bien au delà de mes charnières de chair. De tels soubresauts de conscience me frappent régulièrement, et je dois penser que cela est bien réel, que je ne suis pas là, tout simplement, mais que je suis là, réellement. Comme si le fait de se trouver en un endroit aussi anodin de l’univers me permettait de croire que cela n'a guère d’importance, que je sois là et non pas ailleurs. Le bus s’arrête devant moi dans une bourrasque, exhibant une publicité pour un quelconque magasin Suédois prônant le rangement. Je pense alors que, tôt où tard, il me faudra déclarer la guerre au capharnaüm qui pullule et croasse dans mon appartement, et je monte à bord de cette navette Suédoise un tantinet maniaque. Une fois encore, le temps semble s’accélérer.

Publié dans Julian

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A
Oui, c'était un peu dense, à l'époque. Tu trouves que ça s'est épuré depuis? Moi je trouve que ça dépend des textes, mais l'épuration, c'est pas mon style.
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B
le moins que l'on puisse dire, c'est que ton style est poétique... mais ne gagnerait-il pas à être un peu épuré, pour permettre à des expressions telles que "une sensation étrange, la pesante lucidité d’être là, et de n’être pas ailleurs."de prendre tout leur sens, enfermée dans un écrin moins complexe??toutefois j'aime quand même beaucoup ce texte, e tpuis je triche, je sais qu'en ce moment, tes textes  se sont justmenet un peu "épurés"... et je ne les trouve que plus beaux!!
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K
WAHOOOOOOOO!<br /> alors celui la je l'apprécie beaucoup aussi! peut etre parce que je retrouve plusieurs de mes gouts! Personnellement si tu écrit un bouquin je voudrais etre le premier à l'acheter! Je me sens transporté dans tes textes! Tu écrit tellement bien!<br />  En plus c bien tu ne fait pas de pub pour un grand magasin qui s'est ouvert a dijon il y a quelques mois à la sortie de dijon! lol<br /> Non sérieusement j'aime beaucoup! A quand le prochain? demain j'espere! Ca me ferait plaisir davoir a lire un de tes textes pour faire de beau reves! :)
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D
C'est bien étonnant la navette suédoise me di qqch lol. Encore un tres beau recit, et ben on pe dire que tu m'épate lol. Continu comme sa pti loup lol. <br /> Je croi que je vai lire tt les recit que tu met  
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J
que dire apart que j'admire ton talent...un grand bravo a l'artiste que tu es et bonne continuation dans ta vie...<br /> Sache que je serais toujours la pour te soutenir...
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