Face à Elle

Publié le par Altaïr

Dijon
Julian

Débardeur blanc, jean bleu clair. Pas de sang sur les mains ni barbouillé sur son visage de Furie. Non. Le sang est dans mes veines, il boue. Pourquoi, pourquoi m’a-t-elle laissé ? Seul, avec ces images, seul avec mon incapacité à la suivre pour prendre soin d’elle après cette épreuve tragique. Je ne peux pas prononcer le moindre mot.
« Je peux entrer ? » demande-t-elle.
Non, non tu ne peux pas. Je ne veux pas savoir, je ne veux rien voir. Je veux rester aveugle comme l’axolotl dans son recoin humide.
« Désolé, je vais partir. »
En franchissant mes lèvres, les mots se changent en haches.
« Ah, fait Jill, je te laisse alors. Au revoir. »
Oui, va-t-en et ne reviens jamais, ne reviens jamais me jeter à la face, par ta simple présence, mon incapacité à te demander si tu tiens le coup, si tu as besoin de moi. Je ne peux pas t’aider, je ne sais pas t’aider. Alors je ne veux pas t’aider. Donc tu ne mérites pas mon aide. Vite, il faut que je parte. Impossible de rester ici plus longtemps. Je récupère quelques vêtements en hâte, des affaires de toilettes, un peu d’argent. Vite, il est déjà presque trop tard. Je referme derrière moi la porte de mon temple du sommeil…
Dévale les escaliers de bois. Vite. Cours dans les rues dijonnaises. Ca et là, encore quelques vagissement de ces groupes de jeunes qui migrent d’un lieu à un autre en quête d’éthanol. La gare, vite. Je me jette sur la route, entre les voitures, ça crisse. Que font ils à leur volant, tous, à l’heure où ils devraient dormir ? Et moi, je fais quoi là ? Enfin, le hall de gare, et l’angoisse battante qui m’enserre le cœur aussitôt. Je regarde le grand panneau, le jeu des lettres lumineuses qui tournent, loterie des villes, des heures, hasard de l’espace et du temps. Paris, ça y est, je repère le numéro du quai et m’y précipite. Il est minuit et cinquante minutes.
Mais il n’y a pas de train.

En sueur, je frappe à la porte de l’appartement de Nalvenn. Personne ne répond. Je frappe encore. J’entends un bruit à l’intérieur, des pas se traînent jusqu’à moi. Me voilà face à Sébastien, le fiancé de Nalvenn, en caleçon, ensommeillé, qui me considère sur le pallier en se grattant le torse, avec cette stupéfaction polie que l’on adopte face à un inconnu venu frapper chez soi à deux heures du matin. Ah oui, je dois me présenter.

« Excuse moi, je suis Julian Mahogany, un ami de Nalvenn… »

Aussitôt je prends conscience du ridicule de ma situation. Oui, je suis bien Julian Mahogany, et en quoi cela l’avance-t-il ? Mon amitié envers Nalvenn m’autorise-t-elle à venir les réveiller à une heure aussi tardive ? Le train ! Ca me revient… Pourquoi n’y avait il pas de train ? Pourquoi n’étaient ils pas là ? Mon esprit désorienté ne sait plus où donner de la tête.

« Entre, me dit Sébastien sans poser de question, en réprimant un large bâillement. »

Leur appartement, dans un rai de pénombre, m’apparaît envahi de boiseries et de plantes informes. Le parquet grince sous mes pas. Sébastien m’installe sur le canapé. Je veux boire quelque chose ? Oui, un verre d’eau, volontiers. Nalvenn sort alors de sa chambre, les cheveux ébouriffés, sa lumière ambrée par la fatigue. Petite robe de nuit en soie blanche…

« Quelque chose ne va pas Julian ? » me demande-t-elle avec douceur en s’asseyant près de moi, tandis que son fiancé silencieux dépose un verre d’eau sur la table basse.

Je les regarde sans comprendre. Non, ça ne va pas ! Pourquoi n’étaient-ils pas là ?!

« Je suis allé à la gare, mais il n’y avait personne…  dis-je.

- A la gare ? s’étonne Nalvenn. »

Alors elle comprend son erreur, le texto lacunaire : « Nous partons dimanche pour Paris,on dormira chez le cousin de Seb,Nathan.Le train est à 00h53(moins cher)… » Elle pensait que je lui passerais un coup de fil pour m’enquérir d’informations supplémentaires. Alors je lui parle de Jill, je veux tout lui raconter, mais je commence à pleurer encore, et les larmes étouffent ma voix. Je sens de la colère en moi, car je ne veux pas pleurer devant ce Sébastien que je ne connais pas, et que je n’ai jamais eu envie de connaître.

« Tu n’as qu’à dormir ici » suggère Nalvenn. « Moi je vais me recoucher. Essaye de te reposer un peu. »


Sébastien m'a installé sur le canapé. Je le déteste déjà, ce type trop parfait, qui ne présente aucune hostilité envers moi. Je regarde le plafond. Mes pupilles, lentement, redessinent, à la lumière de leur adaptation à l'obscurité, les traits véritables de l'appartement endormi. 

Publié dans Julian

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A
"mon identité d'auteur, surtout faussée à ce point (grognon? perpétuel insatisfait? "<br /> on ne sest pas connu svt certes, ms je pense te connaitre assez pour pvr dire que tu est réelement qqun de grognon et d'insatisfait... j'en suis dsl, ms c le cas!
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M
C'est dingue comme on s'attache de plus en plus à Julian. A ses peines, ses joies, ses peurs, ses doutes...Je crois qu'on a tous un Julian en nous finalement !
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A
c'est si réaliste, et si touchant de voir ce personnage réagir comme si ce fut qqun que j'ai pu connaitre a un moment donné; "Je le déteste déjà, ce type trop parfait, qui ne présente aucune hostilité envers moi. " sa c'est tt toi mon arthur!! on te reconnai bien la ds le role du grognon , et du perpetuel insatisfait!! gro bsx !<br /> entre parethese je suis encore le premier a laisser un com! ouyai gagné uencore un point!!!
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A
Merci de ne pas trop révéler mon identité d'auteur, surtout faussée à ce point (grognon? perpétuel insatisfait? tu veux bousiller notre cote de popularité auprès de nos lecteurs, c'est ça??)