Eau Croupie de Canal
Dijon
Julian Lorsque j’émerge des profondeurs de mon sommeil, je m’empare du carnet à songe sans parvenir à arracher cette perplexité qui me colle à la figure, comme les fils invisibles et gluants d’une toile d’araignée. Rêve étrange, loin du labyrinthe égyptien. Je griffonne vaguement quelques impressions floues, des bribes de souvenirs.
Un mal de tête écrasant pèse sur mon crâne. Ca tourne. Le temple du sommeil, tout autour de moi, comme une centrifugeuse. Il s’est passé tant de choses ces dernières semaines, tout est allé beaucoup trop vite, et j’aimerais décélérer le rythme de ma vie. Jill devient Furie, Julian devient un lâche, Julian part à Paris, Julian rencontre Nathan, Nathan donne une boîte à Julian, Julian rapporte la boîte à Jed, Jed garde la boîte, Julian se retrouve seul. Et Jill ressurgit, avec ses cheveux bleus. Comme dans… mais si… je le savais pourtant… Toutes ces questions sans réponse, ce trouble visqueux de mon moi que je ne comprends plus. Comment ai-je pu te prendre pour une telle vengeresse ? Comment mon esprit a-t-il pu se perdre ainsi dans le dédale de ses hallucinations ? J’en ai marre de réfléchir constamment à tout ça. Marre de croire que tout ça a un sens. Marre de cette boîte, marre de Nathan. Marre de Jill et de ses cheveux bleus. Marre de cette mare verdie dans laquelle vous voulez m’enfoncer. Je ne chercherai pas la vérité. J’ai besoin de digérer tout ça. Laissez moi aérer dans ma tête. Je ne pleurerai pas ton désespoir ni ma lâcheté, Jill. Je ne pleurerai plus. Julian Mahogany a suffisamment pleuré, de fontaines en fontaines, du jardin de l’Arquebuse au Palais du Luxembourg. Marre de cette eau ambiante et croupie qui pèse si lourd dans mon corps. Envie de légèreté, comme à avec toi Gautier, comme dans ces moments sans pareille où je riais de te voir décapsuler nos bières avec les dents, où nous buvions jusqu’à en vomir nos tripes, où nous dansions, où nous… Nathan, n’est-ce pas ce que tu disais ? « Profites-en pour être toi, pour faire ce que tu as envie de faire sans te soucier des autres. » Pourquoi est-ce si difficile ?
J’ouvre la fenêtre en grand pour aérer l’appartement et en chasser l’odeur de renfermé, puis m’installe au bureau, devant mon cahier. Voilà près de deux semaines que je n’ai pas réussi à poursuivre mon récit, et Arthur ne grandit plus sous mes coups de carbone. T’ennuies-tu, petit personnage que j’ai créé ? Où profites-tu de mon absence pour jouir des plaisir de la liberté, loin des lignes que je trace et qui t’enlacent et te retiennent, t’entravent et te contrôlent ? Comme j’ai de l’affection pour toi, petit Arthur, mon petit personnage rien qu’à moi. Pourquoi t’ai-je fait tant souffrir ? J’ai déversé en toi mes pulsions, mes douleurs, mes pensées-mazout. Ca fait du bien, Nathan avait raison, de ce décharger dans le carbone de ce trop-plein de ténèbres. Alors tu souffriras encore, petit Arthur, mon petit dieu. Tu seras le réceptacle de tous mes maux, mon punching-ball. Ainsi, je serai plus léger.