La Pieuvre
Dijon
Julian
La fille de prépa n’arrête pas de me regarder. C’est pénible. Son regard bizarre collé sur moi comme un chewing-gum dont je n’arrive pas à me débarrasser. Je crois avoir compris qu’elle s’appelait Alice, qu’elle était en hypokhâgne puis en khâgne au Lycée Carnot, qu’elle a raté son concours et que c’est pour ça qu’elle se retrouve ici, dans mon amphi, à me regarder de cette manière. Dans ses yeux, il n’y a ni mépris ni désir. Une sorte de viscosité indéchiffrable. Cette fille est un poulpe, avec son regard tentaculaire plein de ventouses derrière ses lunettes. Je ne supporte pas ça, pas plus que ses deux couettes sphériques de cheveux bouclés blonds foncés qui pendent à l’arrière de sa tête. La Pieuvre. Je vais l’appeler comme ça, elle l’a bien mérité ce surnom. Ca lui apprendra à me regarder, à me figer dans sa tête comme un vulgaire objet. Baisse les yeux devant ton dieu, petite sotte ! Mais non, elle s’entête. Et pas moyen de me concentrer sur le cours, avec cette Pieuvre dans mon dos. Je préfère repenser à Lola, ma jolie Lola. Plus que trois jours… Et toi Nalvenn, arriverai-je à briser la glace qui se forme en toi pour percer à jour ces ombres que tu cristallises ? Je repense à Laura, ma petite enflammée, et à Jill, la furie aux cheveux bleus. Pourquoi faut-il que je rencontre toujours les filles les plus étranges qui soient ? Et il y a eu Cathy, avant elles, ce n’était pas mal non plus. La Pieuvre toussote derrière moi, comme pour rappeler sa présence à mon esprit, et mieux resserrer l’étreinte de sa pensée sur mon être jugé par elle à chaque instant. Je vais me retourner pour l’envoyer balader, au diable le prof qui s’offusquera peut-être avec quelques étudiants. Elle ne mérite que ça. Je vais me retourner. Elle me regarde encore. Le temps passe, lentement.
Je ne me retourne pas.