Machinerie peu habituée au réveil
Entre Plombières et Dijon
AlexandreDoucement, j’entrouvre les yeux. Doucement mon corps frissonne. Mon corps s’émeut. Il bouge un peu ; semble vouloir se réveiller. Je me sens souffler sur l’oreiller. Mon corps étendu, ma couette le recouvrant. Un souffle chaud, un souffle vivant. La moiteur de la pénombre me voit ouvrir les yeux, puis les refermer pour mieux en profiter. Ma main tâte ce corps, ces formes généreuses, mon corps, ce torse imberbe. La main courre ; saute, et s’élève. Retombe plus loin ; elle explore la caverne qu’elle a découverte il y a dix-sept ans. Toujours le même corps. Toujours les mêmes formes. En plus grand, en plus gros. La chaleur de la pièce est envoûtante. On s’y endormirait presque.
Je suis bien. Je prends mon oreiller dans mes bras, et pense. Pense à ces derniers jours, à la lumière qui filtre à travers les volets, à ce capitaine Haddock, à mon corps inerte, à ces vacances qui se terminent. Terminent. Terminent.
Violement mes yeux se posent sur les chiffres rouges de mon radio réveil : 10h12 !
Ça fait plus de deux heures que je devrais être en cours. Mon corps s’active. Mon corps s’agite. Mon corps s’évite. Il veut s’enfuir. Vite. La salle de bain pour me rincer la bouche ; je mangerai plus a midi. Mon jean sale resté sur ma chaise, par dessus mon caleçon de la nuit ; un tee-shirt, des chaussettes. Vite des chaussures. Mon corps en mouvement est moins docile ; une bête lâchée. La cage s’ouvre.
Heureusement que je connais les raccourcis. En coupant par la montagne on gagne un quart d’heure. Il me faut encore redescendre par Talant pour arriver à Montchap’.
Mon corps en folie. Il se déchaîne. Il se démène. Il m’emmène. Au revoir beauté de mon corps. Bonjour sueur et perles de transpiration.
Quand mes auréoles me trahissent au bureau de la vie scolaire, j’explique mon retard par une panne de réveil. Il est 10h54.
J’ai une sainte horreur d’être en retard, alors je préfère me dire que je suis en avance pour le cours de 11h.
Toute la journée s’enfuit aussi vite qu’elle a commencé. Il y a juste Lilian qui ne peut s’empêcher de sourire à chaque fois qu’il tourne la tête vers moi. C’est pas drôle. Je suis rouillé. J’ai perdu le rythme. Je suis perdu. Mon corps est perdu. Il faut qu’il se retrouve.