« Trouve le loup-garou » Publié le 13 janvier 2007 par Altaïr Dijon Julian « Trouve le loup-garou. » Ca veut dire quoi, ça ? Lola s’est penchée sur mes écrits aujourd’hui. Puis elle a relevé la tête vers moi en haussant les sourcils. Prends garde à ne pas rire, sinon tu subiras le même sort que Gautier. Oui, je sais, c’est un peu obscur. Quand j’écris l’histoire d’Arthur, je deviens pur esprit, j’abandonne mon corps comme une épave dans le chaos du réel. Alors il se produit toujours cette sensation étrange, comme si on me dictait les mots, comme si je n’avais plus le contrôle. Quelqu’un s’empare de mon corps et, lorsque mes doigts se meuvent et répandent dans la pièce le cliquetis régulier, ce n’est plus sous l’impulsion de ma volonté. Cette explication ne semble guère la rassurer. Un jeune romancier torturé, ok, mais schizophrène, non. « C’est bon Lola, dis je en plaisantant, je suis pas schizo non plus… » Vraiment ? L’air pulse. Rythmes telluriques. Danser. Faire ployer et ondoyer son corps. N’être plus un corps. N’être plus qu’un corps. Laisser l’alcool imbiber le sang et se propager dans la chair. La musique. Je suis le dieu qui irradie de lumière sous les regards des hommes. Les hommes. C’est toi, Gautier ? Non, c’est Lui, l’Autre Dieu. Arthur a quinze ans. Sa voix éraillée s’est harmonisée. Comment l’avais-je décrit, la première fois ? « Petit, menu. Des cheveux châtains mi-longs qui bouclent sur sa tête, faussement ébouriffés, et dissimulent des yeux dont les cils trop épais lui donnent un air un peu larmoyant, et rendent son regard indiscernable. Visage fin d’enfant, peau sans la moindre aspérité, fraîche et juvénile. » C’est moi, tellement moi. Et il n’a pas tellement changé. Seul son regard s’est un peu endurci – comme pour mieux me ressembler – des yeux acajou où la glace au feu se mêle. Sur la piste de danse, il croise son reflet dans le Miroir. Je crois entrevoir la figure de mon agresseur. Jed, est-ce que c’est toi ? Arthur s’approcha de l’homme qui glissa autour de lui ses mains puissantes. Beau Dieu, j’ai si souvent rêvé de toi, de ce corps contre le mien que j’ai ressenti à travers… Non Jon, ne t’approche pas de moi ! Arthur revit Bleuette devant ses yeux, debout au milieu de la paille, nue, son regard perdu de fillette attardée, et le feu dévorant son chant de vision, elle est nue immobile bon dieu sa chatte de gamine je la vois et le sang, le sang qui s’effondre sur nous, tout cela dans les yeux d’Arthur mais ses mains étaient immaculées. Où suis-je ? Ils sont tous morts. Morts. Et je n’ai rien pu faire. Aide moi Nathan, aide moi ! Pourquoi m’as tu abandonné ? Déconnecté. « Trouve le loup-garou. » L’homme emporta Arthur avec lui, dans son appartement, là où personne ne les verra, là où personne ne l’entendra crier. « Non, ne me fais pas ça… Pitié… » Ce n’est plus ma voix qui sort de ma bouche. Le dédale et la glace, l’immensité polaire. Et Nalvenn ma sœur qui court entre les murs. Tout coule. Sethi, ne me touche pas, ne me salit pas… « Pas ça… pas encore… » C’est la voix de Jed qui jaillit de ma bouche, et l’homme en lui, dans Arthur qui n’est plus Arthur mais un corps relais, onirique. « C’est de ça que je suis capable ? » Arthur vit les yeux rouges du Chacal qui le violentait. Je sens en moi monter une haine sourde, une rage que plus rien ne saura tarir une fois réveillée. Gare au loup-garou tapi en toi. Tu n'imagines même pas ce dont je suis capable... Alors il mordit le bras de l’homme, enfonça ses dents dans la chair, jusqu’à ce que le sang se répande sur ses gencives et que le cri transperce la nuit. Et comme ça, moi en toi, ça te fait du bien ? Il se retourna, prit l’homme à la gorge et le souleva, lui le gamin fragile et menu, il plaqua le diable contre le mur et le frappa au ventre, l’homme se mit à hurler. Arthur le cogna de toutes ses forces, de toute la puissance de la folie qui s’emparait de lui. Il allait le déchiqueter, oh oui, le mettre en pièce, déchirer son corps en lambeaux… Et il le lacéra, à coup d’ongles et de dents, il le mit à mort et le dévora, cet homme cadavre sans vie encore chaud et bouillonnant. Et je me réveille en sursaut, le goût du sang dans ma bouche. Lola endormie sous la couette, la ventilation de son souffle allant et venant à un rythme paisible. Je me précipite vers le lavabo pour boire et effacer le goût du sang, mais mes yeux heurtent ce reflet dans le Miroir. Qui suis-je ? « Trouve le loup-garou. »