Ces mots qui brûlent mes lèvres
Dijon
Lola
« Je t’assure Lola, tu devrais le dire à tes parents si tu as peur de le dire en premier à Julian. Ils t’aiment. Ils te comprendront. Et puis rien n’est irréversible d’après ce qu’à dit la gynéco non ? Il est sûrement encore possible de…enfin d’avorter…si jamais quoi. »Les mots de Zoé résonnent encore entre mes tempes. Je suis devant la porte de chez moi. Depuis Mardi, je dors chez elle. J’ai trop peur d’affronter le monde du dehors, Julian, mes parents, toute ma famille, et la réalité surtout. Mais je dois leur dire, je leur dois bien ça : la vérité.
La porte d’entrée de m’a jamais parue si lourde et infranchissable. Je sais qu’à la seconde où j’aurais passé ce sas, la machine sera lancée, je ne pourrais plus reculer. J’inspire profondément, et pose ma main sur la poignée, il est temps, et le froid dehors me glace presque autant que la peur.
Quand je pénètre dans ma maison de petite fille, ma mère passe la tête par la porte de la cuisine.
« Hey ma chérie, ça faisait longtemps dis-moi ! Je finis un cake aux raisins secs, tu viens près de moi qu’on discute ? Je voudrais bien savoir ce que tu veux qu’on t’organise pour tes vingt ans, c’est dans une semaine tu sais !
- Non Maman… Je voudrais vous parler à Papa et à toi… s’il te plait. »
Son visage change brutalement d’attitude. Elle lit en moi, elle me connaît par cœur. J’ai toujours été très liée à ma mère, et elle a su lire sur mon visage que quelque chose n’allait pas.
Quelques minutes plus tard, je suis adossée contre la cheminée qui fait face au canapé où sont assis mes parents. Mon père allume une cigarette, comme pour prendre une bouffée d’oxygène avant le pire. Je peux sentir toute l’inquiétude de ma mère dans ses yeux, je peux ressentir combien elle a peur, combien elle redoute mes mots. Si tu savais comme j’ai peur moi aussi Maman.
Jusqu’au dernier moment, mes mots hésitent encore à franchir mes lèvres. Je sais qu’il y aura la vie d’avant ces mots, et la vie d’après. Mon destin se joue ici, et maintenant.
« Vous savez, j’avais un rendez-vous chez la gynéco mardi dernier ?
- Oui ma chérie, et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Tu es malade ? Quelque chose ne va pas ? Dis-nous… »
Ma mère se fait implorante, je sais que comme moi, elle s’imagine déjà le pire, un cancer, une tumeur… Je ne sais pas si ça va vraiment la rassurer finalement.
« Non, non, pour ça tout va bien Maman, ne t’inquiète pas, je suis en bonne santé. C’est juste que… tu sais, je ne sais pas comment ça a pu mais…
- Mais parle Lola, tu m’inquiète vraiment là …
- Maman … Je suis enceinte. »
Je m’effondre en sanglots, mon dos glissant le long de la cheminée, pour me retrouver prostrée par terre, en position fœtale. Mes parents ne bougent pas, ils sont comme victimes d’un électrochoc, d’une bombe, d’un coup derrière la tête. Je n’ose même pas lever les yeux, j’aurais trop peur de croiser leur regard. Ils doivent me détester de les décevoir tellement, de casser tous les espoirs qu’ils avaient en moi. Ils vont probablement me jeter dehors et ils auront raison. Je me hais de leur faire de la peine, je me hais de n’avoir rien vu. Je voudrais tant revenir en arrière… Je voudrais ne jamais avoir à les décevoir à ce point.
Doucement, ma mère se lève du canapé pour venir s’asseoir près de moi. Elle m’enserre de ses bras et me serre contre sa poitrine en essayant de réfréner les sanglots qui la font trembler. Je redouble de pleurs et de frissons en me blottissant contre elle…
« On est là ma chérie… et on sera là, quoi qu’il arrive… »