Méninges à trois
Dijon
Julian
Grosse soirée au Dionysos. Lulla et moi sommes mobilisés pour tenir tête à une horde de clients assoifés et rugissants, de jeunes fauves déchaînés. Lulla n'hésite pas à les rembarrer quand ils se font trop exigeants. Je la regarde faire pour m'inspirer de son assurance. Joàn ne m'est pas réapparu depuis hier, et j'espère ne pas le revoir de sitôt. Menteur. Il te fascine. Tu crèves d'envie de le retrouver, me dit mon reflet au détour d'un verre posé sur le comptoir.
Salaud. Je te hais, toi qui sait si bien lire en moi.
Lilian et Robin entrent dans le bar et cherchent une table libre, mais le Dionysos est bondé. Ils finissent par se trouver une place au comptoir et je leur sers à boire.
« Alex n'est pas là ? je demande, innocemment.
- Non, pas ce soir, me répond Lilian, étonné. Pourquoi ? Il te plait ?
- Hein ? Non, pas du tout. J'ai un truc à lui demander.
- A quel propos, continue Lilian, curieux cette fois.
- A propos de son boulot de pompier...
- Tu veux devenir pompier ?
- Mais non... »
Je regarde Lilian et je n'imagine pas qu'il est ce garçon dont parlait Florian, je ne l'imagine pas faire ce qu'il a fait lors de cet été où tout a changé entre mes deux frères. Est-ce que ça aurait modifié quelque chose si j'avais été dans la tente cette nuit là ? Est-ce que j'aurais mieux connu Florian ? Est-ce que j'aurais haï Lilian ?
Les avoir moins connu pendant ces années me permet peut-être finalement de mieux les comprendre aujourd’hui. Comme si l'enchaînement des choses avait un sens...
Il faut vraiment détruire ce Briquet.
Oui, mais Alexandre n'est pas là, et je ne sais pas où il habite. A Plombières-les-Dijon, d'accord, et j'y vais comment moi ?
« Je vous dépose ? demande Joàn, accoudé au comptoir à côté de moi, affublé d'une chemise sexy et de lunettes de soleil qui le rendent encore plus mignon. »
Tu as une voiture peut-être ? Dégage, tu n'es pas plus réel que nous.
« Ah oui ? Et qui vous dit que je suis la projection de VOTRE esprit ? Pourquoi est-ce que je ne serais pas Joàn, un véritable individu, et vous, Julian, une aberration créée dans ma tête pour combler ma solitude, une sorte d'ami imaginaire ?... »
Oh ça va, on a déjà eu du mal à s'entendre à deux pour savoir qui était réel et on a réussi à trouver un compromis, on ne va pas remettre ça avec toi maintenant.
« Donc tu abdiques déjà ? lance Joàn, amusé. Ok, je suis donc réel, et vous mon hallucination, c'est décidé... »
Heu, je peux avoir mon mot à dire ?
Laisse moi régler ça.
Tu n'es pas le seul à être en cause, là.
« Wowowow, qui parle à qui là, je ne comprends plus rien... »
Alors va voir ailleurs si on y est.
Ne lui parle pas comme ça.
« Il prend ma défense, comme c'est mignon... Comme si j'en avais besoin... »
Toi la ferme, je ne suis pas ton hallucination. Je suis réel.
« As-tu une preuve ? »
« As-tu une preuve ? »
Très bien débrouillez vous entre vous.
« Merci, bon débarras. »
Bruit de verre cassé.
« C'est rien, je dis à l'attention des clients surpris, c'est rien. »
Lilian me regarde bizarrement.
« Tu as eu une absence ? il me demande. Tu es resté un moment sans bouger, tu faisais presque peur. »
Je regarde à côté de moi. Forcément, Joàn a disparu.