Imprévus Improvisés
Dijon
Julian
Organise-toi, Julian, organise-toi ! Bon. Très bien. Je vais m’organiser. Alors… après les cours je vais… heu… aller à la BU, travailler un peu, récupérer des livres et après heu… j’irai… je rentrerai à l’appart’ pour poser mes affaires avant d’aller chez Nalvenn… Il ne faut pas que je rentre trop tard si je veux élaborer un stratagème pour demain, lorsque je me retrouverai devant l’amphi de Lola. Je n’ai pas prévenu Nalvenn, mais je préfère que ce soit une surprise pour elle, une explosion de lumière dans sa vie. Après tout, quand je vais mal, elle ne prévient pas, elle vient tout court. Pourquoi ne pourrais-je pas faire de même ? Moi aussi je veux être sa lumière. Dur, pour un papillon de nuit, de jouer les vers luisants… Ne m’en veux pas ma luciole.Je traverse la pelouse mouillée qui sépare ma fac de la BU. Petite bruine détestable. Mieux vaudrait une vraie averse que cette simili-pluie inutile. Enfin, j’entre dans le grand bâtiment vitré, où des souffleries chaudes m’assaillent. Rien ne tel pour choper la crève que ces alternances entre chaud et froid, merci la fac. Oui, je suis de mauvaise humeur, je n’aime pas devoir m’organiser comme ça, avoir l’impression que je dissèque ma routine pour la rendre plus insupportable encore. J’emprunte les escaliers à clair-voie pour monter à l’étage, quand soudain, un élément imprévu éclate dans mon champ de vision. Lola est ici, installée à une table, non loin de celle où je travaille d’habitude. Est-ce bien elle ? Pas de doute, je reconnais ses cheveux très bruns, et ce pull trop large, quoique féminin, où se cache son cou et se dissimulent ses mains, ses petites mains, je l’ai déjà vu…
Non, ça ne va pas. Je devais la voir demain, devant son amphi. Je devais être là-bas, et elle avec moi, et entre nous l’absurdité d’une situation et un silence gêné. C’était prévu dans ma tête. Et tu dis que tu n’aimes pas organiser ta vie ? Oh ça va hein ! Bon, d’accord, j’ai menti. J’ai peur d’improviser. Qu’est-ce que je dois faire maintenant ? Je panique, mon esprit m’abandonne. Je ne suis plus qu’un corps immobile dans la BU, paralysé. Et c’est le feu qui reprend le contrôle. Mes jambes se mettent en mouvement, je marche droit sur elle. Mon corps tremble, mon cœur s’emballe, j’ai l’impression de bouillir de l’intérieur. Je m’installe face à elle. Lola a enfoui son visage dans ses mains, elle fixe son cours étalé devant elle, peut-être sans le lire, ses prunelles noires enchâssées sous deux sourcils froncés. Lentement, elle relève la tête et ses yeux s’écarquillent de surprise en croisant mon regard.
Je ne sais pas comment tout s’est enchaîné. Je suis dans la rue de la Liberté, un peu perdu sans doute, avec ce papier dans ma main. Nous avons discuté, je lui ai proposé de l’aider, mais allez donc travailler sérieusement quand vous avez passé toute votre vie à attendre ce moment ! Nos rires nous ont valu de nous faire mettre à la porte de la BU, mais nous n’en avions que faire. Et nous avons marché, sans but, guidés par notre conversation – cette petite pluie est-elle si désagréable ? Elle m’a parlé de sa première année de fac en anglais et de son envie de changer de route, je l’ai beaucoup écoutée sans trop en dire sur moi. J’ai donc un an de plus qu’elle… Petite Lola, comme j’aurais envie de prendre ta main encore, et continuer à marcher ainsi, sans jamais rencontrer d’obstacle, marcher pour toujours avec toi, et ta main dans la mienne pressant mes doigts régulièrement. Maintenant je ne sens plus que ce papier dans ma main, et il contient mille promesses de tes mains. Ce petit bout de papier déchiré, avec dix petits chiffres dessus, et quatre jolie lettres, deux consonnes et deux voyelles. Tout ça, ce petit bout de rien, ce petit bout de tout.
Qui fera le premier pas ?