Sous le vent aigre de cette fin d'hiver, l'Idée salvatrice germa en mon Esprit, et fut mise à exécution

Publié le par Altaïr

Dijon
Julian

Accélération du temps. Je passe devant le Miroir pour me brosser les dents. Enfile un manteau ; il n’a pas l’air de faire chaud aujourd’hui. Lola est partie à la fac déjà. Je ferme la porte à clé et descends les escaliers de l’immeuble. C’est étrange, en deux ans j’ai l’impression de n’avoir jamais croisé un seul de mes voisins, alors qu’en habitant dans les combles, et devant ainsi traverser chaque étage pour rentrer chez moi, j’aurais cru les rencontrer un jour.
Place Grangier. Evaporé le soleil, l’astre lion et son printemps prématuré ! Des grains blancs, couscous neigeux, tombent sur le sol mouillé et se dissolvent à son contact. Des pétales évanescents portés par un vent glacé. Le Froid est mon Amant, mais il est en colère. Serais-tu jaloux, beau Froid de mes nuits enivrées ? De toute façon je n’ai guère de temps à te consacrer, et mes pieds me portent jusqu’à la porte du Dionysos.
Tintement de clochette en entrant. Louis redresse la tête derrière son comptoir, et mon regard heurte violemment ses yeux bleu marine. Je me précipite jusqu’à lui en bousculant deux jeunes vietnamiens bruyants qui se lèvent pour partir, et m’assieds sur mon habituel tabouret, à côté du vieux pirate, toujours en contemplation devant son verre de whisky.
« Comment ça va Jack ? lui demandé-je. »
L’homme tourne vaguement son visage dur dans ma direction. Souvent les vieilles personnes me paraissent ne rien être de plus que de vieux fruits en phase de pourrissement. Chez Jack, malgré l’état pathétique de sa condition d’alcoolique dépressif, la beauté n’a pas été ravagée par les années. Au contraire, il semblerait que les cataclysmes du temps aient rehaussé de gloire le contour travaillé de ce visage émacié et dur, aux longs cheveux blancs plaqués derrière ses oreilles. Son habit de marin confère à son apparence un surplus d’élégance, souvenir de ses voyages en mer. Il plante dans mon regard son unique œil valide, non pas vitreux mais perçant, car Jack le Navigateur, qui semble tout droit sortir d’un roman d’aventure, n’a rien perdu de sa fierté de naguère.
« Tu as oublié ta machine aujourd’hui ? me demande Louis en me serrant la main.
- Je l’ai laissée à l’appart’, dis-je, je venais pas pour ça. »
Louis sort son torchon pour essuyer le comptoir, tout en me regardant. Je reste quelques secondes stupéfait par sa capacité à reproduire des gestes précis tout en se concentrant sur autre chose ; jamais je ne m’y ferai.
« Louis, j’ai eu une idée. »
Les sourcils se froncent au dessus de ses yeux, et sur son front se forment des rides d’inquiétude. Une vague d’appréhension traverse son visage en réaction à mon excitation enthousiaste.
« Il faut que tu m’embauches au Dionysos, annoncé-je fièrement. »
Depuis le samedi au soir, l’idée m’avait hanté et, à présent, je regarde Louis soupirer de soulagement devant la nature de ma proposition.
« T’embaucher ? répète-t-il en souriant. »
Je me mords la lèvre en attendant son verdict, afin de lui montrer que ma demande n’a rien d’une vulgaire plaisanterie. Son sourire s’efface alors peu à peu.
« Tu n’es pas sérieux là Julian, si ?
- Je cherche un job depuis deux mois et demi Louis, tu le sais, c’est pas en écrivant que je vais gagner ma vie, et puis avec Lola qui est enceinte, mon père malade qui pourra peut-être bientôt plus me payer l’appart’… »
Le barman se renfrogne et se met à frotter plus durement son comptoir. Pour la première fois, ses yeux me lâchent et se fixent dans le vide.
« Je peux prendre les commandes, faire la plonge, n’importe quoi. J’aime beaucoup ce bar tu sais et… je m’y sens déjà comme chez moi…
- T’aurais jamais dû quitter la fac, grogne Louis en guise de réponse.
- Je sais. Tu me fais pas confiance ? demandé-je alors sur un ton de défi. »
Le regard de Louis se recolle dans le mien. Il me semble plus dur que d’habitude.
« C’est pas une question de confiance, monsieur-je-sais-tout, c’est juste que ça se fait pas comme ça et…
- Louis je sais bien que tu as besoin de quelqu’un pour t’aider de toute façon, continué-je avec véhémence. Dis pas le contraire. »
Quelle est cette fougue qui se développe en moi et me fait cracher ces mots dont je ne me croyais pas capable ? C’est le feu qui m’anime, ce feu qui toujours sait me sortir de ma coquille de timidité. Louis me fixe toujours sans bouger.
« Ok, votre seigneurie. Rendez-vous ici vendredi matin à 9h. »

Publié dans Julian

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B
ouiiiiiii elle va reprendre ?
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A
Beh non, c'était juste pour dire que rien n'est jamais acquis ^^
D
C'est très classieux "alpha du centaure". j aime bien. <br /> Julian grandit, c est le fun. Mais dis donc il est sympa le louis, parce que des patrons qui se laissent parler comme ça :-p j'en connais pas bcp. <br /> et puis vivement les récits de julian faisant tomber la commande sur ses clients ^^
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A
Hihi, attendez, il est pas pris encore pour ce job !Vous vous souvenez de la pièce de théâtre proposée par Sylvain? :D
M
"Monsieur-je-sais-tout" "votre seigneurie"Ah comme j'aime quand on parle comme ça à Julian ! Que ça lui apprenne la vie un peu !Bon, un boulot alors ? (si seulement ça pouvait être si simple ! lol)Alors ça parait bien parti pour la NOUVELLE FAMILLE MAHOGANY on dirait ! (Oui oui, cette dernière phrase avait pour simple but de te faire flipper mon petit Alta d'amour !)
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A
Miiiiin arrête de me torturer, je commence à regretter à mort moi, je veux pas que mon Juju soit papaaaaa !En tout cas c'est vrai que ça lui fait pas de mal de parler avec un adulte. Quant au boulot, parfois (souvent), ça tombe comme ça, par chance, quand on s'y attend pas... (pour ma part en tout cas).
S
Je trouve que ce bar et Julian vont très bien ensemble, alors c'est une bonne idée ce job. Et puis en Julian il y a toujours cette étrange chose qui donne envie de le rencontrer  : )
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A
Oui, tu trouves aussi? Je sais pas de quoi ça vient. Mais je pense pas qu'on s'entendrait, lui et moi, on se jalouserait mutuellement, on se détruirait.
A
Moi aussi j'aime beaucoup. Je sais plus, il me semble que c'est Bétoune qui avait émis quelques critiques en ce qui concerne les descriptions, personnellement  ça ne me dérange pas du tout, au contraire, j'aime beaucoup. Peut être parce que j'aime beaucoup regarder les gens... lol  En tout cas j'espère que ça va continuer. j'aime vraiment cette nouvelle ambiance, le Dionysos et tout... Et puis Julian qui semble enfin avoir trouvé du boulot. Faut voir ce que ça va donner. Bref, un com bien long, faut en profiter c'est rare de ma part. lol.
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A
Ah mais c'est toi Antaaaa? Je croyais que c'était Déneb ^^Ben merci bcp en tout cas, c'est vrai qu'un com de toi, c'est rare :DJ'avais envie de lancer Julian dans une ambiance nouvelle, avec des éléments nouveau, un cadre qui ne ressemble pas à celui des autres (car je pense de plus en plus que nos personnages vivent tous trop de la même façon) et dans lequel il puisse s'épanouir.Merci à toi Anta ;)